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La fin de la neutralité du net aux États-Unis en 2017 : l'accès à Internet menacé

Qu'est-ce que la neutralité du net
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L’année 2017 a été marquée par la fin de la neutralité du net aux États-Unis. Ce principe garantit l’égalité de traitement de tous les flux de données sur le réseau sans discrimination.

La neutralité du net protégée par le droit

En Europe, il a été sanctuarisé par un règlement du 25 novembre 2015 qui protège le droit d’accès des citoyens du continent à un internet ouvert. Celui-ci est « devenu une plateforme ouverte d’innovation facile d’accès pour les utilisateurs finals, les fournisseurs de contenus, d’applications et de services et les fournisseurs de services d’accès à l’internet ».

Ce droit concerne aussi bien les flux qui entrent dans le réseau que ceux qui en sortent. Selon le règlement européen, « quel que soit le lieu où se trouve l’utilisateur final ou le fournisseur, quel que soit le lieu, l’origine ou la destination de l’information, du contenu, de l’application ou du service », cette liberté implique d’« accéder aux informations et aux contenus » et d’« utiliser […] des applications et des services ».

En France, la loi pour une République numérique de 2016 a inscrit le principe de neutralité dans le cadre juridique. Pour le Conseil Constitutionnel, la liberté d’accès à internet fait partie du droit constitutionnel de s’exprimer et de communiquer librement. La « montée en grade » de ce principe n’est probablement pas fini puisque le Président de l’Assemblée nationale, François de Rugy, souhaite le voir inscrit dans la Constitution.

Malgré cet arsenal normatif, l’accès à l’internet ouvert souffre d’un manquement, constate l’Arcep dans un rapport intitulé « Les terminaux, maillons faibles de l’ouverture d’internet ». Si le principe s’applique aux réseaux, il ne vaut pas pour les terminaux. Or, l’autorité constate que ces derniers sont les vecteurs d’une tendance d’un accès à un internet plus limité et moins ouvert.

De la navigation internet sur ordinateur aux applications de smartphones

De quoi parle-t-on concrètement ? Traditionnellement, on surfe sur la Toile sur son ordinateur via une connexion internet. Site web, réseaux sociaux, forums, blogs,… Or, cette configuration est bouleversé depuis un moment par un nouveau terminal : le smartphone. Selon le Baromètre du Numérique 2017 du CREDOC pour l’Agence du Numérique, l’Arcep et le Conseil général de l’économie, le smartphone est tout simplement le premier outil d’accès à internet (48%) devant l’ordinateur (43%) en France. 73 % des Français possèdent un smartphone contre 17 % en 2011. Il est principalement utilisé pour surfer sur le web (64 % des Français). Pour d’autres pays comme la Chine, l’accès à internet s’est fait initialement sur mobile. Ainsi, il y a 724 millions de mobinautes sur 750 millions d’abonnements fixes et mobiles !

Seulement voilà, le smartphone apporte avec lui de nouveaux usages et, notamment, une nouvelle manière d’appréhender Internet. Le bon vieux navigateur a laissé la place aux applications. Dans le monde, la population installe en moyenne 80 applications sur son smartphone. Elle en utilise 40 par mois, pour une moyenne de trois heures par jour. Pratique, l’application permet d’utiliser directement un service. Mais l’accès à internet est alors « plus restrictif que [celui] via un navigateur, puisqu’il est très spécialisé ». Cela se traduit pour l’utilisateur par « une moindre maîtrise des informations auxquelles il peut accéder et un moindre contrôle des critères en fonction desquels ces informations sont mises en avant ».

Un accès à internet plus fermé

À cela s’ajoutent les limites des politiques éditoriales des systèmes d’exploitation (OS) et ce d’autant plus que le secteur est dominé par le duopole Apple/Google. Certes, des limitations s’imposent parfois en raison de contraintes techniques ; elles peuvent même bénéficier à l’utilisateur notamment dans le domaine de la sécurité. Néanmoins, elles sont aussi un moyen pour les fabriquants de terminaux ou les éditeurs d’OS de « fidéliser » le client en empêchant l’accès à des services concurrents dans les cas les plus extrêmes (comme le retrait de Youtube par Google des terminaux Amazon Fire TV Stick et Amazon Echo Show suite à la décision d’Amazon de retirer le Chromecast de sa boutique en ligne) ou en mettant en avant ses propres produits par une politique de référencement.

L’Arcep met également en cause la préinstallation d’applications qui est un moyen pour les imposer au client. Si cette politique peut se justifier par son pragmatisme, les « masques tombent » lorsque l’on se rend compte que ces applications présintallées ne peuvent pas être supprimées. Par exemple, Lenovo/Motorola empêche la désinstallation et la modification de la barre de recherche Google Search sur l’écran d’accueil. Du côté de chez Apple, on ne peut pas changer le moteur de recherche utilisé par Spotlight sur iOS.

« Balkanisation » de l’accès à internet et navigation contrôlée

Par ailleurs, les évolutions à venir sont potentiellement attentatoires à l’accès à l’internet ouvert. Du développement de l’assistance vocale à la prolifération des objets connectés, en passant par la réalité virtuelle, la réalité augmentée et le recours croissant au cloud, se profile l’avènement d’un accès fragmenté et spécialisé à internet. Le rapport évoque, entre autres, le phénomène de la « kindle-isation » selon lequel le terminal est associé à une plateforme. Le terme se réfère au Kindle, cette liseuse rattachée à la plateforme Amazon. La tendance est générale. Demain, l’enceinte connecté HomePod sera réservée aux services Apple Music et Itunes et inaccessibles pour les concurrents. Après-demain, on peut imaginer le GPS d’une voiture connectée susceptible de sélectionner des itinéraires favorisant la fréquentation des enseignes ayant passé des accords avec le constructeur.

Outre cette « balkanisation » de l’accès à internet modelé selon les services et les objets, c’est bien la recherche même sur le web qui est remise en cause avec la démocratisation de l’assistance vocale et des enceintes connectées. Celle-ci constitue une « restriction structurelle à l’ouverture d’internet » puisque, à la pluralité des réponses d’une page de résultats, se substitue une réponse unique censée être la plus pertinente. Fini les plaisirs de la sérendipité, le consommateur doit suivre aveuglément son assistant. Or, les résultats proposés sont encore loin d’être fiables. Si les difficultés peuvent être imputées à une intelligence artificielle encore défaillante, c’est bien le constructeur qui choisit au préalable des sources d’information interrogées par l’assistant. On a même l’impression que les restrictions appellent les restrictions : absence de configuration de l’assistant ou du service de recherche, fermeture aux développeurs d’applications…

Au final, l’Arcep émet un certain nombre de recommandations pour garantir l’accès à un internet ouvert.

En premier lieu, le principe doit valoir aussi bien pour les réseaux que pour les terminaux.

En deuxième lieu, cela passe par un travail constant de veille et d’information sur les pratiques en vigueur. L’Arcep propose notamment la mise en place d’un régulateur expert pour s’informer auprès de l’ensemble des acteurs du marché. De même, il serait judicieux de recueillir le signalement des utilisateurs finaux sur le modèle de ce que fait l’autorité avec les opérateurs postaux et télécoms.

En troisième lieu, elle recommande l’établissement de dispositifs ad hoc pour fluidifier les marchés et développer la concurrence. Cette dernière doit être envisagée non comme une fin en soi mais comme « un levier (...) pour stimuler les comportements vertueux et garantir les conditions de l’ouverture d’internet ». Il devrait être aussi plus facile de changer de terminal en encourageant la portabilité des données.

Enfin, l’Arcep envisage toute une batterie d’actions directes auprès des acteurs clés pour préserver le foisonnement offert par internet : permettre aux utilisateurs de supprimer les applications préinstallées (comme c’est le cas en Corée du sud), hiérarchiser autrement les contenus et services en ligne disponibles dans les magasins d’applications, mettre en place un suivi des offres exclusives, accompagner les PME et les startups en position souvent défavorable en raison de leur manque de moyens en créant par exemple une voie de recours en cas de litige sur les conditions d’accès aux terminaux.


Article rédigé par Thierry Randretsa

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