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Crise politique : ne blâmez pas uniquement les réseaux sociaux

Influence des médias sur les élections présidentielles
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« C’est la faute aux réseaux sociaux ». Vous l’avez sûrement vu ou entendu quelque part.

« - Les fausses informations ?

- Les réseaux sociaux.

- La propagande ?

- Les réseaux sociaux.

- Les rumeurs ?

- Les réseaux sociaux.

- La désinformation ?

- Les réseaux sociaux.

- La radicalisation ?

- Les réseaux sociaux ».

Ou Internet. Comme cela, on ne s’embarrasse pas de détails.

Storytelling

Progressivement, le récit simpliste et binaire selon lequel les réseaux sociaux et le web seraient la source de tous nos maux s’est installé. Elle a son assise conceptuelle : la fameuse thèse des bulles de filtre, théorisée par Eli Pariser, selon laquelle, sur Internet et plus encore sur les plateformes sociales, on n’est confronté qu’aux opinions qui nous confortent. Évidemment, rien n’illustre mieux ce storytelling que la victoire de Donald Trump aux élections présidentielles américaines de 2016. Et pour cause : le numérique a été particulièrement mise à contribution à ce moment entre le piratage du Parti Démocrate, la dissémination des fake news, l’exploitation des Big Data par la société Cambridge Analytica et l’ingérence russe. Autrement dit, le cocktail parfait pour ériger Internet en bouc émissaire.

Sauf que la réalité est différente. Ou, au moins, plus complexe.

Les réseaux sociaux n’ont pas fait gagner Trump

C’est ce que nous dit une étude de Levi Boxell, Matthew Gentzkow de l’Université de Stanford et Jesse M. Shapiro de l’Université de Brown publiée dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences. Leur travail se base sur l’analyse des groupes démographiques utilisant les réseaux sociaux. Première remarque : si les Américains s’informent de plus en plus par le biais des réseaux sociaux, cela reste un phénomène minoritaire chez les adultes. Selon une étude, ils ne sont que 14 % à utiliser les réseaux sociaux comme principale source d’information. Par comparaison, ils sont 57 % à considérer la télévision comme telle.

Deuxième remarque : si on se penche sur l’utilisation des réseaux sociaux par les différents groupes démographiques, on se rend compte que la polarisation politique augmente aussi vite, si ce n’est plus, chez les Américains les plus âgés qui sont ceux qui sont le moins sur les réseaux sociaux. Tel est l’objet de l’article de Boxell, Gentzkow et Shapiro.

Ils en veulent justement pour preuve l’élection de Donald Trump en 2016 qui est le plus populaire parmi les groupes démographiques les moins enclins à employer les réseaux sociaux. Il a gagné des soutiens parmi celles et ceux qui n’utilisent pas Internet et en a perdu chez les votants qui naviguent sur la Toile. La recherche a même démontré que les soutiens à Hillary Clinton étaient plus prompts à tweeter ou à poster sur Reddit que ceux de Trump.

L’intérêt de l’article de Boxell, Gentzkow et Shapiro est aussi de mettre en perspective le phénomène de polarisation. Il ne date pas d’hier puisqu’on peut le faire remonter aux années 80 voire au-delà. Le web n’a fait qu’accompagner la tendance.

Un clivage façonné par la télévision et les politiques

Mais alors, si les réseaux sociaux n’y sont pour rien dans la polarisation des opinions politiques, qui est le responsable ? Cette bonne vieille télévision. Normal puisqu’elle reste la source d’information prioritaire pour bon nombre d’américains qui votent. En outre, les chercheurs ont constaté la montée en puissance de chaînes du câble idéologiquement partisanes comme Fox News ou MSNBC. Leur influence est telle que l’on parle d’effet Fox : elles ont un impact sur le vote de la population d’autant plus qu’elles n’hésitent pas à prendre position lors d’un scrutin. Si la chaîne Fox News n’avait pas existé, le vote républicain aurait baissé de 3,6 % en 2006 et de 6,3 % en 2008. En 2016, elle a été la source principale d’information des électeurs américains selon une enquête du Pew Research Center. Et Trump a été élu.

Le comportement des politiques explique aussi pourquoi la société américaine est de plus en plus clivée. Désormais, ce ne sont plus des opinions politiques qui s’affrontent mais des réalités différentes avec, pour chacune, un langage qui leur est propre. D’un côté, on parlera d’ « étrangers clandestins » alors que, de l’autre, on évoquera les « travailleurs sans-papiers » etc. Pour le Professeur en sciences politiques Mo Fiorina, la société américaine n’est pas si polarisée ; ce sont ses élites qui le sont et qui l’entraînent avec elles. La victoire de Trump en serait la preuve, lui le candidat non idéologique (ancien démocrate) qui a remporté la primaire républicaine face à des « vrais conservateurs » comme Ted Cruz.

Le mal est profond car il est au cœur de l’histoire et de la société américaine. Comme le notait une étude de Shanto Iyengar, Gaurav Sood and Yphtach Lelkes de 2012, ce n’est pas tant que les Américains aient changé d’opinions politiques qu’ils ont changé d’attitude à l’égard de ceux qui ne votent pas comme eux. Si en 1960, ils étaient 5 % à refuser que leur enfant se marie avec quelqu’un du parti opposé, ils étaient 40 % en 2010.

Au final, si l’étude de Boxell, Gentzkow et Shapiro a le mérite de briser un mythe, elle n’est pas non plus naïve sur les effets délétères que peuvent produire les réseaux sociaux sur les citoyens. Mais ils ne sont sûrement pas l’alpha et l’oméga d’un phénomène complexe qui puise autant dans l’ancien monde que dans le nouveau.

Article rédigé par Thierry Randretsa

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