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Nothing to Hide: La réalité de la surveillance de masse et le mythe de la transparence

Nothing to hide de Marc Meillassoux et Mihaela Gladovic Marseille
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« Je me fiche d’être tracé ou surveillé. De toute façon, je n’ai rien à cacher ». Tel est l’argument typique soulevé par une certaine doxa lorsque le sujet de la surveillance de masse est abordé. C’est le cas de Max Thommes, un artiste berlinois qui a accepté qu’un mouchard soit installé sur son smartphone et son ordinateur personnel pendant plusieurs semaines. C’est cette expérience que relate le documentaire « Nothing to hide », entrecoupée d’interventions de spécialistes de la question qu’ils soient militants, universitaires, juristes ou ex-agents du renseignement.

 

 

Discours de la servitude volontaire

 

Oubliez le fruit défendu. La captation massive des données à des fins publicitaires est le péché originel de notre temps. Sauf qu’ici la « chute » est bien plus insidieuse. Indolore. Invisible. Elle est même plutôt agréable à l’instar du soma, le « paradis artificiel » utilisé par les protagonistes du roman d’Aldous Huxley « Le meilleur des mondes » cité dans le documentaire. Il suffit juste de cliquer. En effet, c’est gratuit ! Les conditions générales d’utilisation ? Balayées d’un revers de la main (pardon, d’un « swipe » du doigt). Quelle est cette incongruité qui vient retarder notre accès à la dernière application en vogue ?

Telle est notre attitude commune face aux services numériques. Croyant être seuls, nous sommes prêts à livrer toute notre intimité sur le web. Sur de notre bon droit, nous pensons que tout ce que nous dirons ne sera pas retenu contre nous : c’est l’autre argument commode employé pour ne pas avoir à se soucier des atteintes à la vie privée. « Pourquoi s’en inquiéter puisque, de toute façon, je n’ai rien fait de mal » ?

 

 

Le contrat antisocial

 

Pourtant, l’impact sur les libertés individuelles est profond. En réalité, tout le monde a quelque chose à cacher. Pour l’ex-porte parole de la Quadrature du net Jérémie Zimmerman, l’intimité permet le développement personnel. C’est parce que nous sommes à l’abri du regard de l’autre que nous pouvons expérimenter quitte à faire des erreurs. Selon Alison Macrina qui travaille sur le navigateur anonyme Thor, une vie peut basculer du jour au lendemain en raison d’un changement de situation. Des contenus publiés dans le passé peuvent alors prendre une autre tournure avec la nouvelle donne. Nous le voyons souvent lorsque des anonymes accèdent soudainement à la célébrité et se voient reprocher des propos diffusés auparavant sur les réseaux sociaux. Edward Snowden va plus loin : le discours du « rien à cacher » est celui de la classe dominante. Il se fait au détriment des minorités dont la condition est, par définition, plus fragile. C’est un discours antisocial, comme si vous disiez que vous n’avez rien à faire de la liberté d’expression car vous ne vous en servez pas. Or, d’autres peuvent en avoir besoin.

 

 

Surveiller et profiler

 

De la démocratie au régime totalitaire, il n’y aurait alors qu’un pas susceptible d’être vite franchi. Selon un analyste interrogé, les instruments sont déjà là. Ne reste plus que la volonté politique. Le documentaire ose le parallèle avec la Stasi, la police politique de l’ex-Allemagne de l’est. Excessif ? Si à l’époque l’objectif de ces agents était de « tout savoir », l’ancien directeur de l’Agence de Sécurité Nationale américaine, Keith Alexander, a pu déclarer que son but était de « tout collecter ». Pas facile de saisir la nuance.

La bascule pourrait se faire au nom de la sécurité. C’est sous ce motif que sont votés des lois accordant des pouvoirs importants aux agences de renseignement en terme de recueils des données. Au « rien à cacher » se joint le « rien à craindre ». Résultat : une inflation des informations à traiter qui agit paradoxalement comme un frein à la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, la mise à disposition de données inédites permet de « profiler » des mouvement sociaux, d’Occupy Wall Street aux manifestations d’écologistes durant la COP 21.

« Nothing to hide » se termine sur une note d’espoir. Anciennement candide, Max Thommes contemple avec effarement l’ensemble des données qui ont pu être recueillies pendant les semaines durant lesquelles il a été surveillé. Un analyste décrit avec précision quel a été son mode de vie, les lieux dans lesquels il s’est rendu, les activités auxquelles il s’est adonné, ses relations sociales et son train de vie, le tout sur la seule foi de ses méta données (qui servent à décrire d’autres “data” comme, par exemple, les coordonnées GPS). « Mon opinion sur le sujet a considérablement changé », déclare Thommes un peu penaud. « Entendre quelqu’un parler comme ça de vous, que vous n’avez jamais rencontré, c’était une sensation bizarre ».

Alors, toujours rien à cacher ?

 

 

Article rédigé par Thierry Randretsa

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