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Détruits par Youtube et Twitch

La solitude des Youtubeurs
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Ils s’appellent PiewDiePie, Jenna Marble, Ninja ou encore SkyDoesMinecraft. En France, ils ont pour nom Norman, Cyprien, Natoo ou Squeezie. Ils génèrent des millions de vues. Certains sont même millionnaires. Leur profession ? Youtubeur ou twitcheur, souvent les deux à la fois lorsqu’ils jouent aux jeux vidéo. Leur succès font rêver les enfants au point qu’ils aspirent dorénavant à devenir youtubeur si on en croit une étude réalisée pour le quotidien britannique « The Sun », si ce n’est pas blogueur ou vlogueur.

Pourtant, de la réalité au rêve, il y a un gouffre dans lequel nombreux sont ceux à sombrer.

 

 

Une vie pour un stream

La vidéo a fait le tour du monde. On peut apercevoir Yuber, streameur de son état, parler face caméra. Le ton est grave. L’heure n’est pas au « let’s play » sur le dernier jeu vidéo à la mode. Yuber témoigne à coeur ouvert sur les coulisses de son métier. Elles sont peu reluisantes. En effet, cela fait trois ans qu’il diffuse ses parties de jeux vidéo en direct sur Twitch. Trois ans d’abnégation à suivre scrupuleusement les bonnes pratiques en vigueur pour gagner sa vie et devenir une star du web. Yuber n’a pas rechigné à la tâche. Streamer est un métier à temps plein qui nécessite de s’investir pour générer un salaire. Tout ça pour quoi ? 6 000 abonnés. Largement insuffisant pour espérer dégager une rémunération. Le constat est amer car Yuber a tout perdu : sa copine, ses amis, sa vie sociale. La larme à l’oeil, il repense à l’époque où streamer était une espérance. Celle d’avoir une carrière, de pouvoir en vivre sans devoir travailler à côté. Cette espérance s’est muée en un enfer qui a pris l’apparence d’une chambre désordonnée enfermant le twitcheur dans sa solitude.

Aujourd’hui, Yuber témoigne pour éviter que d’autres ne tombent dans le piège. Twitch est un « endroit dangereux ». Il conseille de ne pas « streamer à temps plein avec un métier à côté » au risque de « tout perdre ». Comble de l’ironie : contrairement aux précédentes, cette vidéo a cartonné.

 

 

Engrenage

Yuber n’est pas un cas isolé. Contrairement à ce qu’il pense, le succès sur ces plateformes ne conduit pas automatiquement au bonheur. En effet, de plus en plus de youtubeurs sont victimes de burn-out. Ils ont beau réaliser leurs passions et gagner des millions, ils ne sont pas forcément plus heureux. C’est même l’inverse qui se produit : ils sont sujets à l’anxiété et à la dépression. C’est le cas de Elle Mills. Contrairement à Yuber, elle a plus d’un million d’abonnés sur Youtube. Ce qui ne l’a pas empêchée de traverser un épisode de burn-out à seulement 19 ans.

« C’est tout ce j’ai toujours voulu ? Alors pourquoi je suis malheureuse ? Cela n’a pas de sens », déclare la jeune femme désemparée dans les colonnes du site Polygon. Elle ne se rend pas compte que les racines du mal sont au coeur de ces plateformes que sont Youtube ou Twitch.

Certes, ces dernières ont fait émergé des stars du web. Mais à quel prix ? Ces espaces sont des lieux de compétition impitoyables qui ne laissent pas d’autres choix à ces créateurs que de travailler constamment pour augmenter le nombre de vues et plaire à leur communauté. Quitte à s’engager dans une voie qu’ils n’ont pas forcément voulu. En France, le youtubeur Antoine Daniel, auteur de l’émission « What the cut » a très bien décrit cet engrenage dans une vidéo publiée sur sa chaîne il y a deux ans.

À ce moment, cela fait des mois qu’il a arrêté de publier des contenus. Pourquoi ? Parce que produire sa fameuse émission ne le rend pas « spécialement heureux ». Antoine Daniel a d’autres projets plus ambitieux que de commenter des vidéos trouvées sur le web : réaliser une série, un court-métrage... Pourtant, lorsqu’il s’attelle à la tâche, il a l’impression de perdre son temps. Il retourne alors sur le contenu qui a fait son succès sauf qu’il n’y arrive pas. La raison ? La pression. Le vidéaste est exigeant et anxieux. Il estime « ne pas avoir le droit à l’erreur ». Il craint le faux pas ou le manque d’inspiration qui le ferait sombrer dans l’oubli. C’est un cercle vicieux : « bloqué psychologiquement », Antoine Daniel se sent obligé de faire quelque chose qu’il n’a pas envie de faire mais n’y arrive pas pour autant. Du coup, il ne fait rien. Le problème n’est pas que existentiel car lorsqu’un Youtubeur ne produit rien, il ne gagne pas d’argent.

 

 

Sous pression algorithmique

Si, à l’instar de Yuber, l’enfermement du vidéaste est physique, il est aussi algorithmique. L’algorithme, c’est celui de Youtube, celui qui fait et défait des carrières. Celui qui exige de perdre sa vie à produire des vidéos à la chaîne pour cumuler le nombre de vues, susciter de l’engagement, gagner des abonnés… Un travail qui peut devenir une obsession tant la fréquence de publication est devenue le maître-mot des youtubers. La croyance selon laquelle les comptes de plus de 10 000 abonnés doivent produire une vidéo quotidiennement pour plaire à l’algorithme de Youtube est largement partagée. Il n’est donc pas étonnant qu’une telle pression et une telle masse de travail conduisent au burn-out.

Si tout va bien pour Ninja, ce twitcheur qui s’est notamment fait connaître auprès du grand public pour ses parties de Fortnite avec le chanteur Drake, ses journées sont loin d’être de tout repos. Consacrant douze heures par jour à sa passion, il dort moins de six à sept heures par nuit. Une passion qui s’avère ingrate pour le commun des vidéastes, la faute à un algorithme qui constitue, à bien des égards, une boîte noire. Nombreux sont les youtubeurs qui se plaignent des changements que la plateforme opère sur ses règles de monétisation, le plus souvent en leur défaveur. Résultat : ils sont encore plus sous pression, inquiets que leurs contenus ne répondent pas aux critères opaques fixés par le géant américain.

Au final, la seule solution semble de lâcher prise. Est-ce possible ? Touché par les messages de soutien qu’il a reçus suite à son témoignage, Yuber a décidé de continuer à streamer en dépit de ses mésaventures. Dans la description de sa dernière vidéo, il appelle les internautes à souscrire à sa chaîne pour plus de contenus.

Article de Thierry Randretsa

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