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Libertés et chiffrement : l’alerte du Conseil national du numérique

Libertés et chiffrement Conseil national du numérique Paris
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« Prédictions, chiffrement et libertés ». Si le titre paraît neutre, le contenu est autrement plus partial. Et pour cause : le Conseil national du numérique (CNN) juge la situation « critique ». Le texte actuellement à l’étude à la chambre basse est le quinzième depuis 2012. Une véritable inflation législative qui nécessite de prendre le temps de la réflexion alors que certaines dispositions antérieures ne sont toujours pas entrées en vigueur, que les attentats terroristes n’ont pas cessé et que les libertés semblent de plus en plus céder le pas à la sécurité.

 

 
Haro sur le chiffrement

 

L’avis de la CNN est une réaction aux récentes déclarations de responsables politiques européens visant à « armer nos démocraties sur la question du chiffrement ». Le Président français Emmanuel Macron et la Première Ministre britannique Theresa May ont notamment présenté un plan dont l’objectif est de « permettre l’accès au contenu chiffré ». L’idée est que « lorsque les technologies de chiffrement sont utilisées par des groupes criminels, voire terroristes, il doit exister une possibilité d’accès au contenu des communications ».

En quoi cette déclaration est problématique ? Tout d’abord, il convient de définir le chiffrement. Il s’agit d’une technique pour communiquer de façon sûre, secrète et anonyme. Seuls l’émetteur et le destinataire du message ont accès au message (par exemple, par le biais d’une clé dans le cadre du chiffrement de bout à bout). Celui-ci ne peut pas être lu par des tiers.

Ce procédé s’est démocratisé aux lendemains des révélations d’Edward Snowden sur l’état de la surveillance opérée par les agences américaines de renseignement. Elles sont notamment utilisées par des services de messagerie populaires comme Signal ou Whatsapp. Or, elles sont accusés par les gouvernements de permettre aux terroristes de communiquer en toute confidentialité, à l’instar de la fameuse application Telegram utilisée par des membres de l’État islamique. Leur souhait est donc d’affaiblir le chiffrement pour permettre l’accès au contenu protégé des terroristes sur leur smarphone ou d’autres appareils. À l’instar du conflit qui a opposé la société Apple au FBI lors de l’enquête sur l’attentat de San Bernardino, il est régulièrement proposé de recourir aux « portes dérobées » (« backdoors »). Il s’agit d’un « point d’accès à un système d’exploitation, à un programme ou à un service en ligne » utilisé « généralement (…) à l’insu de l’utilisateur (…) pour surveiller les activités du logiciel, voire en prendre le contrôle ». « L’intérêt réside dans la possibilité de surveiller les activités de l’utilisateur, copier ou détruire ses données, prendre le contrôle d’un ordinateur, etc ».

  

Un garant des libertés et de la sécurité

 

« Où est le problème si cela est restreint aux activités criminelles », serait-on tenté de dire. C’est justement là où le bât blesse. Paradoxalement, l’effet produit serait contraire à celui recherché avec une sécurité considérablement réduite pour tout le monde. En effet, le chiffrement est au cœur de nos activités en ligne dans la vie de tous les jours. Que ce soit les messageries, les règlements sur les sites de commerce en ligne, le stockage de nos données de santé dans un dossier médical, tout cela est permis grâce au chiffrement qui protège ces opérations de toutes ingérences extérieures. Il est au centre de notre économie, l’espionnage dans ce domaine ayant fait perdre plus de 40 milliards d’euros aux entreprises françaises dans ce domaine en 2013. Il contribue à la liberté de la presse en permettant aux journalistes de garder le secret des sources comme ce fût le cas lors de l’affaire des Panama Papers.

Autrement dit, faites sauter le verrou du chiffrement et la sécurité de tous se verrait affectée. À l’inverse, les gains en matière de lutte contre la criminalité ou le terrorisme seraient minimes. En premier lieu, on peut craindre que ces « back doors » tombent entre les mains de personnes mal intentionnées. Ce serait même le préalable à une surveillance de masse. En second lieu, on peut supposer que les organisations criminelles disposent des moyens pour se prémunir contre de telles intrusions. Par ailleurs, il existe d’autres façons d’accéder aux informations nécessaires aux enquêtes comme les métadonnées susceptibles de cartographier un réseau ou de localiser des individus sans avoir à entrer dans le contenu des communications privées.

Pour le CNN, s’en prendre au chiffrement est révélateur d’une tendance plus générale à vouloir s’attaquer à internet, devenu le bouc émissaire de tous nos problèmes. Pourquoi ? Car cela est facile ! L’internaute lambda n’en ressent pas les effets. Pourtant, ce dernier serait certainement outré d’apprendre que la porte blindée de son domicile puisse être ouverte par une clé universelle. Or, c’est justement ce que permettent les « portes dérobées » dans le cadre du numérique ! En outre, ce biais contre le web peut conduire à se reposer sur des prédicats erronés. Par exemple, s’il ne faut pas négliger son rôle dans l’endoctrinement des terroristes, le contact humain reste dans 95 % des cas l’élément déclencheur de la radicalisation.

Face au risque d’avènement d’une « société du soupçon généralisé », le CNN rappelle en conclusion son engagement indéfectible à défendre le chiffrement « outil vital de la sécurité en ligne », « rempart contre l’éventuel arbitraire des États » et « contre la surveillance de masse ».

Cet avis sera-t-il pris en compte par les députés et le gouvernement ?

 

 

Article rédigé par Thierry Randretsa

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